Philippe Campiche, février 01
Le conte est un art millénaire. Bien avant
l’invention de l’écriture, c’est la parole des bardes, griots,
troubadours et conteurs qui était porteuse de sens. C’était le vent des
mots, et lui seul, qui amenait des nouvelles du monde, racontait les
généalogies familiales ou les chroniques villageoises, mais aussi, à
travers symboles et archétypes, donnait aux croyances et cérémonies
sacrées leurs sens profonds, à la fois psychologique et existentiel. Le
conte était école de vie.
Aujourd’hui, le monde a changé. Mais l’homme? et l’enfant?
Nous vivons une époque où nous sommes submergés de
«communication», mais éperdument affamés de sens. Quel enseignant ne
s’est pas trouvé démuni face à un enfant « normalement doué», mais
incapable d’investir le savoir scolaire, car incapable d’y voir un
sens ? Est-ce un hasard si ce sont justement ces enfants-là qui écoutent
le plus fort (ce qui ne veut pas dire que les autres n’écoutent pas),
au point que parfois, 6 mois après avoir entendu une seule fois une
histoire, ils venaient me questionner à son sujet ? Je ne prétends
évidemment pas que le conte soit la panacée aux maux de ce monde (ça se
saurait), mais il permet au minimum d’établir en classe un lieu de
parole vivante, un instant où conteur et «écouteurs» sont à la fois à nu
et masqués, puisque protégés par le cadre du conte, cachés derrière
l’histoire, à tenter de découvrir un petit espace où la magie, le
mystère et le merveilleux peuvent, parfois, se laisser entrevoir.
Et ce n’est pas là sa seule vertu.
Le conte est littérature. Orale, certes. Mais, il a
ses lois, ses rythmes, ses structures, à travers lesquels l’enfant,
intuitivement d’abord, puis consciemment, va intégrer les
quasi-immuables structures du récit. De plus, ce faisant, il s’habituera
à prendre la parole en public, à choisir ses mots, ses silences, en
apprenant, au fond, à «écouter l’écoute» de ceux à qui il parle, tout en
suivant le fil de son histoire.
En ces temps tourbillonnants où le changement semble
devenir la seule loi stable, où le rôle de l’école dans la formation de
l’individu est de plus en plus important, le conte peut transmettre cet
irremplaçable manteau de sagesse tissé fil à fil depuis la nuit des
temps, porteur d’humour, d’amour et d’espoir.